Vous le savez sans doute déjà si vous me lisez régulièrement ou si vous suivez mon Instagram (@doctorshooooes), je suis enceinte. Trèèèès enceinte puisque la naissance est prévue dans quatre jours.
Par contre, et ça vous ne le savez peut-être pas : je suis le genre de fille très énervante. Question poids, je veux dire (sinon je suis un cœur). J’ai sensiblement le même kilogramme qu’à mes 20 ans, je suis de corpulence mince, je ne grossis pas. J’ai un rapport très sain à la nourriture. Je n’ai jamais fait de régime de ma vie (même pas après mes deux premières grossesses). Une sucrerie (ou une « graisserie ») ne m’intéressera que si j’ai faim. Du coup, je ne grignote pas. Sauf si on me propose un met particulièrement rare et précieux, mais c’est rare en plein milieu de la journée. Je ne suis pas non plus une esthète de la bouffe, j’adoooore les chips, les plus chimiques possible svp. Pour conclure, je n’ai aucune compulsion alimentaire. Mon angoisse ne se fixe pas du tout sur la nourriture. J’ai d’autres tares, je vous rassure.
Mais…
Quand je suis enceinte, je fais du diabète gestationnel : mon corps ne supporte plus le sucre.
Le diagnostic tombe aux alentours de six mois de grossesse et impose un régime drastique pour que le bébé ne soit pas soumis à des hyper et hypoglycémies incessantes (ce qui fragiliserait son tout petit organisme) : tous les sucres doivent être supprimés du jour au lendemain. C’est très violent. D’abord les plus évidents comme les desserts, les fruits et les jus. Puis, au fur et à mesure – le diabète s’aggravant avec l’avancée de la grossesse – les féculents : pas de pâtes, de riz ou de pommes de terre. Ou en toutes petites quantités.
Mais qu’est-ce que tu manges ? Me demandent les gens. Et bien, c’est dur. Enceinte comme un baleineau, affamée comme un ado, je dois me priver. Vivre sans aucun sucre est déjà dur pour un être humain « normal » alors quand on est enceinte… Et qu’on n’a jamais fait de régime de sa vie… La frustration est insupportable. J’ai envie d’envoyer valser tous les dos de cabillaud du monde et je pense que je pourrais faire un autodafé de lentilles et de brocolis.
J’ai le sentiment d’être punie.
Je dois apprendre à marcher comme une équilibriste sur le fil de la faim. Car il est hors de question que je m’affame. Je ne dois pas m’affaiblir, ni me stresser, mon fœtus est tellement connecté à moi.
Bref, je suis au régime quoi. 85% des femmes le sont toute l’année. (folles que nous sommes)
Ce qui me sidère, c’est la vitesse à laquelle le déséquilibre alimentaire s’est emparé de moi. Il m’a fallu seulement quelques jours pour devenir complètement obsédée par la nourriture. Et basculer. À m’en rendre malade. À ne plus savoir où doit s’arrêter la privation. À ne plus reconnaître des choses élémentaires comme la sensation de satiété. Mon régime me dit « il faut manger une entrée + un plat + un fromage » ? Je vais tout manger sans me poser la question si j’en ai envie ou pas. Et quand j’ai fini de tout avaler, je suis perdue et frustrée parce que je n’ai pas connecté mon repas avec ma propre sensation. Et je ne parle même pas de la sacro-sainte note sucrée finale dont je raffole habituellement.
Autre comportement instable, je fais des assiettes garnies avec tout ce que j’ai le droit de manger. Je ressens le besoin de visualiser mon repas en entier comme pour mieux le contrôler. Et la seule personne que je connaisse que j’ai vu faire ça est une ancienne anorexique…
Parfois, j’ai peur. Peur de sombrer dans une sorte d’anorexie justement. De m’être habituée à la sensation de faim, de ne plus manger assez et… d’aimer cette sensation de contrôle sur mon corps. Et de faire mal à mon bébé. Alors je culpabilise. Sainte Culpabilité, priez pour nous!
Durant cette période (c’est la deuxième fois que ça m’arrive), je pense beaucoup à mes amies. Leur compulsion, leur régime, leur déséquilibre, toutes leurs souffrances liées à l’alimentation dont elles parlent beaucoup. Je touche du doigt leur problème : la bouffe conçue comme une chose brûlante. Un danger, un ennemi, une ambivalence ingérable.
Et ça prend tellement de place. La contrainte alimentaire est chronophage.
Au lieu d’être heureuse, apaisée de flotter dans cet état d’apesanteur entre deux mondes (celui des mamans et des femmes actives), je déprime. Je pleure. De faim et de stress.
Et puis, je pense à l’après : vais-je récupérer mon équilibre? Évidence devenue véritable trésor aujourd’hui. En réalité, je ne suis pas très inquiète car une vie passée sans troubles est plus forte que deux mois. Deux mois pour mon bébé en plus. Une cause médicale. Pas un déraillement psychologique lié à un traumatisme.
Autre chose qui me sidère plus encore, c’est que je n’ai pas pris de poids depuis deux mois. Mon bébé va bien, il grossit, cela veut donc dire que moi, j’en perds. « Waouh, tu es toute mince! » s’écrit-on autour de moi. Certes c’est sympathique, je retrouverai ma ligne plus rapidement (d’habitude, je prends toujours 18/20 kg et il me faut 15 à 16 mois pour retrouver mon corps) En réalité, je n’en suis pas du tout enchantée. Chaque personne qui me complimente me désole un peu de la perception qu’on peut avoir des femmes enceintes. Attendre un enfant, c’est accepter d’être GROSSE. D’avoir un corps différent. Je trouve ça morbide une femme enceinte qui ne prend pas de poids. Celles que je connais et qui disent « je n’ai pris qu’un kilo en neuf mois » ou « j’étais plus maigre après mon accouchement qu’avant » ont un rapport trouble à leur corps et à la nourriture (je ne dis pas que c’est le cas de toutes les femmes qui ne prennent pas de poids, ce sont juste les exemples que j’ai sous les yeux).
Mais je pense que ce qui me sidère ENCORE plus dans cette expérience, ce sont les effets du sucre sur le corps. Déjà sur moi qui suis dans le troisième trimestre de ma grossesse, alors même que mon bébé prend beaucoup de poids, l’absence de sucre m’en fait perdre alors sur une personne « normale »! C’est énorme, c’est violent. En gros, si vous arrêtez de manger des sucres rapides (franchement pas les meilleurs pour la santé), vous perdrez cinq kilos en un mois, c’est sûr. Qu’est-ce que c’est que ce produit qui a tant d’effets sur le corps ? C’est toxique ou quoi ?
Sans parler de cette étrange sensation qui commence à faire irruption. Il y a encore trois semaines, le manque de sucre pouvait m’être insupportable. Me tenailler le corps au beau milieu de l’après-midi. Il me FALLAIT du sucre. Comme une drogue. Aujourd’hui, j’aurais plutôt envie de ne pas en manger. L’idée de croquer dans un gâteau me déplaît : trop sirupeux, trop violent, trop agressif (un peu comme l’alcool quand on n’en pas bu depuis longtemps, la première gorgée est brutale, un verre rend pompette). Aujourd’hui, j’ai le sentiment étrange d’être… désintoxiquée.
Je ne peux pas m’empêcher de faire le lien avec le surpoids actuel. Cette semaine (mardi 25 octobre pour être précise), une analyse est sortie : un français sur deux est en surpoids. Et je repense à cette plage en Italie l’été dernier. J’ai été choquée par les garçonnets de six ou sept ans: quatre enfants sur cinq étaient en surpoids. Je veux dire, avec la peau du ventre et celle des seins qui tombent. Ce n’est pas normal à cet âge, la plupart du temps les enfants sont plutôt secs. Surtout les garçons. Cette constatation m’a affolée sur le coup. Et cette expérience sur la vie avec et sans sucre me donne une petite idée de ce que les populations ingèrent pour se transformer petit à petit, de plus en plus jeune, en peuples d’obèses.
Je ne tire pas de conclusions. Tout ça me donne juste beaucoup à méditer. Ce post n’est qu’un instantané de pensées.
Pour ma part, je ne vais certainement pas arrêter de manger du sucre après la naissance. Au contraire, j’ai déjà précisément commandé les chocolats de la Maison du chocolat dont je raffole (mes préférés). Et on n’emportera pas notre corps de rêve nourrit à la frustration au paradis.
Mais quelle histoire sidérante, non ?
PS : Je voulais quand même préciser que je vais bien. Mes proches m’aident beaucoup, et surtout, à ne pas perdre de vue que l’important est que je sois en forme pour accoucher et que tout ira bien même si ma glycémie est un peu haute. Le diabète gestationnel est un peu la nouvelle marotte des médecins. Il y a dix ou quinze ans, on n’en parlait pas. Il faut relativiser et veiller à ne pas se laisser submerger par la surmédicalisation. D’ailleurs, j’ai mangé des pâtes à midi.