WANTED : des sneakers immaculées

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Les plus courageux diront que j’exagère. Depuis le revival-coup-de-génie-marketing de la Stan Smith, je lève le nez avec mépris dès que je vois leur minois rond aux pieds de mes congénères. Tout ce cirque dédaigneux et ces mouvements d’humeur contre les esprits grégaires pour me précipiter finalement sur leurs étranges cousines. Des baskets Comptoir des Cotonniers dont l’inspiration nourricière saute aux yeux : un bout rond, un design minimal, une empeigne basse. Des Stan Smith revisitées que l’on doit à une grande signature de la mode.

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La créatrice Anne Valérie Hash (directrice de création chez Comptoir) a eu l’idée de twister les lacets et leur garant (les deux pièces de cuir où sont cousus les rivets) pour inventer une sneaker blanche déconstruite. Un effet optique dont l’esprit ludique n’est pas éloigné des miroirs déformants de notre enfance. Tout est classique dans cette sneaker, sauf ce laçage à la réalité distordue. L’idée est tellement bonne. On se demande pourquoi personne n’y a pensé plus tôt.

À la manière des poètes de la fin du 19ème qui ont foutu le bordel dans la prosodie, ça donne envie de faire sauter les verrous de la pompe. Pourquoi les lacets doivent-ils être au milieu ? Et pire, pourquoi devrions-nous porter les deux mêmes chaussures aux pieds ? (non non ne faites pas les rebelles : si vous croisez quelqu’un dans la rue avec des souliers dépareillés, vous penserez sur le champ que c’est un agité du bocal) (et les Twins de Camper, ça compte pas) (ni les Converse avec une couleur différente à chaque pied hein)

Ces sneakers lumineuses me font la joie d’être innovantes et totalement dans l’air du temps. Un truc qui répond à notre désir brûlant de chausser du blanc avec la petite excitation de l’inédit.

Un truc qui bat le rappel autour d’une communauté de style tout en titillant le grégaire à l’intérieur.

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L’immaculé est devenue la parfaite ponctuation finale d’une silhouette contemporaine. Leur minimalisme casual, leur simplicité virginale et leur neutralité dédramatisent avec chic et retenue toutes les folies que l’on souhaite s’accorder. (comme un manteau léopard assorti à un pantalon oversize 7/8). Les Beatles, John Lennon en tête avec ses Spring Court blanches, et autres rockers des années 60 ne s’y étaient pas trompés.

L’immaculé réveille des fantasmes enfouis. Le propre que l’on salit, le blanc que l’on consomme, le vierge que l’on façonne, une lumière que l’on s’accorde. Marcher sur du blanc rayonnant, en ces temps où les imbéciles nous imposent leur noirceur, c’est un petit détail qui fait le sel de la vie.

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Sneakers Slash, 99€.



L’appel d’air

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Photo Marie Florès pour Shooooes – Sandales en cuir velours Pierre Hardy

Lundi soir, je me rends chez mon osthéo pour la première fois depuis 3 ans. J’ai bien choisi mon jour. Je ne pouvais pas être plus tendue. Quant à elle, je sens bien qu’elle n’a fait que parler des attentats toute la journée avec ses patients. Elle est exsangue et obsédée par le discours qu’elle tiendra à son fils de 14 ans en rentrant chez elle le soir. Quelle forme aura pris la terreur dans la cour de récré ?

Elle travaille mon corps endolori par le stress du quotidien. Elle m’appelle gentiment ma puce et s’émeut devant les dégâts d’une vie de trentenaire-au-bord-du-burn-out. L’absurdité de la situation est désespérante. Et puis cette question nous dévore : comment continuer à vivre alors qu’il s’est passé ça ?

Face à ma détresse, elle me parle d’une de ses patientes, une écrivaine alaouite syrienne, opposante au régime d’Assad et exilée en France : Samar Yazdek. Dans son livre Feux Croisés, paru en 2011 chez Buchet Chastel, cette dernière raconte l’oppression dans son pays. La peur, la prison, les menaces permanentes, l’horreur par le sang. Bien pire que tout ce que je n’ai jamais vécu. Allongée sur sa table d’osthéo, Samar lui a confié que dans les moments les plus noirs, c’était la lecture des grands poètes qui l’avait maintenu à la surface. Que la beauté des vers de Rimbaud lui avait sauvé la vie. Quand l’horreur asphyxie toute forme de vie, la beauté sans frontière de la poésie a été l’appel d’air, l’élévation, l’espoir de vie.

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Photo Marie Florès pour Shooooes – Bottines en cuir tatoué Laurence Dacade

À cet instant, la situation est grotesque. Je suis en soutif-culotte-chaussettes. Cette Samar est une intellectuelle immensément courageuse. Des centaines de familles et de gens sont en deuil. Je me fais soigner parce que je suis une modeuse trop occupée.

Mais mon osthéo me rassure : tout le monde a le droit au deuil. Il est légitime d’exprimer son traumatisme, même quand on n’a pas été touché directement.

Plus tard, allongée sur mon canapé, je repense à Samar, à cet appel d’air qui lui a permis de survivre à l’innommable. Et si je me servais de son enseignement ? Et si je m’inspirais de son secret ? Rêver, respirer, inventer, imaginer, sourire, ce n’est pas forcément être indifférent (c’est impossible de l’être), ni indécent, c’est aussi ne pas se sentir coupable d’être vivant et d’exister tel que l’on est. Tous mes projets me semblent indécents mais ce sont eux qui me raccrochent à la vie. Le salut par la beauté, l’humour et la vie. Comme un mantra dans ma tête « Vivre avec »*.

Photo Marie Florès pour Shooooes

Photo Marie Florès pour Shooooes – babies en cuir verni Gianvito Rossi

Vendredi dans l’après-midi – avant donc – je cherchais les bons mots pour vous raconter, à travers ces photos de Marie Florès pour Shooooes, à quel point ces trois modèles étaient les plus beaux de la saison et combien ils me faisaient vibrer. Je voulais être drôle, évoquer les surréalistes, les faux-semblants, inventer des personnages… Je n’en ai plus le courage ni l’envie aujourd’hui. Mais leur beauté et les histoires qu’ils me susurrent ouvrent cependant une fenêtre dans mon noir. Elles transforment la peine en inspiration.

C’est dérisoire mais c’est un fil comme un autre pour reprendre pied.

Avec la collaboration de Vanessa Naudin  (styliste) et de Jonathan Herfeld (set designer).

* j’ai découvert avec émotion la Une de M Le Monde après avoir commencé à écrire ce post.



Exprimer sa peine sur les réseaux sociaux.

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On se pose beaucoup de questions quant à évoquer notre colère, notre chagrin ou notre horreur sur les réseaux sociaux. Certains nomment cela du déballage, je dirais qu’il s’agit plutôt d’une forme de communion. Fondre de noir son flux Instagram, afficher ses couleurs sur Facebook, écrire quelques mots symboliques sur un blog de chaussures, c’est prendre le choc et le chagrin a bras le corps et le porter ensemble. Affronter la peine pour relever la tête ensuite.

J’ai reculé toute la journée. J’ai encore beaucoup pleuré ce matin. Le fait de devoir reprendre la vie alors qu’il s’était passé ça, c’était trop dur. J’ai tenu le coup tout le week-end et puis, une fois seule, sans mes enfants et mon mec, je me suis effondrée. Je n’ai pas perdu de proches, mais comme beaucoup, des connaissances, des amis d’amis sont morts ou blessés.

« Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment, comme nous, d’un aussi grand amour. »

Je partage cette photo que nous avions signé avec Olivia da Costa pour l’Instagram de Roger Vivier en avril 2015. Il me fallait de l’amour et si possible, des chaussures. Voilà.



La tête au soleil, les pieds dans la pluie.

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Les bottines Jour Férié x André avec mon jean-que-j’ai-fait-moi-même (ouais ouais)

Il est fréquent dans la vie que les autres aient le désir impétueux de décider à notre place. Et on les comprend, il doit être tellement fabuleux de pouvoir disposer des autres à sa guise. Si l’on pouvait tout contrôler, on serait comme les rois du monde, non ? Une sensation grisante, à n’en pas douter. Tant que l’on n’a pas compris cela, cette lutte de pouvoir, on reste sous l’emprise des plus forts. Ceux qui en imposent le plus, ceux qui parlent plus haut ou qui vous terrorisent avec leur changement d’humeur inexpliqué. Bref, les personnalités qui s’introduisent en nous comme dans du beurre. Ce mécanisme émane des humains mais aussi, plus largement, des injonctions culturelles (fais pas ci, fais pas çà, enlève tes doigts du nez). Et le jour où l’on réalise cette emprise, on peut enfin s’en libérer et réaliser, dans un mélange d’horreur et de joie, que l’on est les seuls responsables de notre vie. Que l’on est les seuls à détenir les clés pour avancer. Et que pour y aller d’un pas déterminé, il faut quoi ? Je vous le donne en mille : des bonnes chaussures (ahaha je vous ai bien eu hein) (c’est la chute du siècle).

À tous ceux qui nous veulent en talons parce que c’est plus seyant (et saillant), qui nous veulent active parce que c’est moderne, qui nous veulent mère parce que c’est notre rôle, je dis oui, je veux bien relever le challenge (j’adore être challengée), mais please, laissez-moi gérer la mise en place de ma super-puissance.

Nathalie Elharrar a passé une bonne partie de sa vie à créer des chaussures de femmes vraiment pas sages (vraiment vraiment pas sages), des escarpins à brides avec hauteur vertigineuse à haute suggestion ajoutée. Et puis, un jour, il n’y a pas très longtemps, elle a sabordé cette représentation féminine pour en proposer une autre, plus terre à terre, moins fantasmée, et infiniment plus optimiste. Elle a créé la marque Jour Férié. Un nom de baptême évocateur. Tout simplement joyeux, il bat le rappel autour des petits bonheurs de la vie. Ces choses bêtes qui nous rendent heureux. Le bonheur accessible quoi, bien ancré dans la réalité. Parce que oui, on peut être bien chaussé, ce n’est pas un fantasme.

J’ai rencontrée Nathalie pour la première fois de ma vie à ce tournant-là de sa vie. Et je l’ai adorée.

Aujourd’hui, elle lance une collaboration avec André.

Quand la marque lui a demandée quel blog elle aimait et si elle souhaitait en sponsoriser certains autour de ce lancement, elle m’a citée tout de suite (C’est elle qui m’a racontée cela). Comme la première fois que j’avais fait cela, l’équation me semblait juste pour tout le monde, j’ai accepté de recommencer. Plus de temps pour faire un post parce que je suis payée, on est toujours d’accord que c’est juste non ? (à condition que je ne vous parle pas de lunettes de WC bien sûr)

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Bottines Nathalie en veau velours d’Italie, Jour Férié pour André, 115€

La collection se compose de chaussures de garçon. Mon obsession dans la vie (oui oui le phallus manquant). Une chose importante avec les chaussures de garçon (qu’est-ce que c’est cette manie de dire garçon pour homme, et fille pour femme… Vous avez remarqué ? On n’a plus le droit d’être des adultes ou quoi ?), bref une chose méga importante avec les chaussures d’hommes : on peut leur acoquiner des chaussettes marrantes.

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Les bottines Nathalie en bleu marine et ganse en cuir rouge, 115€

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Voilà mon modèle préféré : des bottines de cheval, des Chelsea Boots en langage mode (passion), en veau velours d’Italie, ouaip, et une semelle épaisse en caoutchouc qui nous assure la tête au soleil et les pieds dans la pluie sans crainte. Après avoir chosifiées les femmes, Nathalie a décidé de les libérer avec des chaussures faites pour avancer.

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Les bottines Nathalie de la collab’ Jour Férié x André, en cuir velours, 115€

L’autre jour, j’étais sur un shooting et, parfois il faut mettre la main à la pâte, je ne suis pas du genre princesse moi (mon mec doit se retourner sur sa chaise de bureau) bref, j’ai dû tenir un réflecteur pliée en deux pendant plusieurs minutes. J’avais le nez sur mes pompes. De mec, évidemment. Des derbies en cuir avec le bout fleuri. Et là, comme il fallait bien que j’occupe mon cerveau pour faire passer le temps, j’ai commencé à regarder mes pieds avec insistance, comme si je cherchais à les diviniser en essayant d’obtenir cette réponse à ma question : pourquoi est-ce que j’aime tant les tatanes d’homme ? Et là, fulgurance. J’ai revu mon père assis dans les escaliers de la cave, devant SON meuble à chaussures (il était le seul à en avoir un à l’époque) en train de cirer ses Weston. Et j’ai réalisé que c’est une activité que je l’ai vu faire régulièrement. Dans mon cerveau d’ex enfant amoureuse de son papa chéri, c’est une bien belle manière de m’approprier un peu de lui. Classique.

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Desert Boots Inès en cuir noir et ganse en cuir bleu marine, 115€

Vous allez me dire : alors si on ne porte pas de chaussures à talons très femmes, on est obligé de porter des chaussures de garçon pour avancer dans la vie (avec des chaussettes « donuts ») ? un scandale.

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Les derbies Emma en cuir velours bleu marine et ganse rouge, 99€

Non, je dirai que c’est le retour à une silhouette plus simple où le genre ne rentre pas vraiment en ligne de compte. C’est d’autant plus vrai que cette collection est unisexe. Elle est aussi pour vous nos chers chéris (pour les hommes ce modèle s’appellera juste Nathanael).

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« Croise les jambes, pointe le pied à 45 degrés, arrondi ton bras gauche, accoude-toi au rideau de fer avec le droit, casse le dos en deux, lève la tête, fais voler tes cheveux, prends l’air naturel et souris. »

Clic.

(pas facile la vie d’influencer)

Retrouvez toute la collection par ici.



Des cuissardes dans la vraie vie.

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Défilé Isabel Marant automne-hiver 2015

J’ai longuement rêvé cette allure. Mais comment passer du fantasme à son propre reflet dans le miroir ? De l’innocence de cette jeune fille aux yeux-scruteurs des couloirs de métro ?

L’autre jour, je dînais avec une amie qui conçoit des bijoux (Annelise Michelson, j’adore son travail!) et on parlait de nos représentations féminines. Et notamment de ses fantasmes quand elle dessine ses créations. Elle évoquait la fameuse guerrière sexy, cette femme-amazone-des-villes confiante en sa féminité qui inspire tant les créateurs. Ils aiment les femmes fortes. Et tant mieux, je n’aimerais pas que l’on plébiscite les regards de chiens battus.

Mais, moi ? Je me sens un chouilla écrasée par ces fantasmes.

Parce que je passe un temps fou à douter. Je ne dis pas que je suis obsédée par mon apparence : je ne fais jamais de régime, je ne fais pas de sport (et ça me désole pour d’autres raisons) et mon budget maquillage doit être de 50 euros par an (Chanel offre des rouges à lèvres à ses défilés) (no comment) (sinon j’ai juste besoin d’un nuage de poudre libre et d’un soupçon du blush Orgasme) (et aussi d’un soupçon de mon chéri) (pardon).

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Docteur Shooooes par Camille Toulot, sa cousine.

Non, le problème n’est pas là. J’ai passé l’âge de vouloir être une jeune première.

Le problème est : comment aimer la mode sans pulvériser sa personnalité au contact des tendances ? La vie, c’est apprendre à recevoir les influences extérieures sans jouer les girouettes à l’intérieur. C’est un travail subtil que de se laisser modifier par le dehors sans perdre l’originalité de son intérieur. Pour cela, il faut être focus et confiant dans le chemin qu’on dessine. Il faut être serein sur l’histoire qu’on raconte avec son corps et ses actes.

Et cette démarche de vie peut aussi s’appliquer à la mode. Et aux chaussures. C’est pourquoi je suis intarissable à ce sujet tiens (si on vous demande) (en fait tout cela est très philosophique, rien à voir avec les chaussures).

Bref, d’une longue amazone, j’en ai fait un titi parisien, avec des cuissardes plates (je dis bien plates, il y a même des crampons), super élastiques, pour ne pas qu’elles plissent aux genoux (le virage du genou est le plus difficile à négocier dans la couissardes mesdames), une robe marinière beaucoup moins chère que le modèle Isabel Marant en photo (Saint James x Claudie Pierlot) et un perf Vintage que vous avez déjà vu 56 fois. Les cuissardes, c’est beau s’il y a une touche de masculin dedans.

Si je dois donner un conseil, il vaut mieux privilégier les cuissardes très slim, qui collent à la peau, plutôt que les cavalières qui requièrent un bon mètre quatre-vingt pour exister (même à talon). Vous les portez avec un « haut du corps » un peu large (jupe sixties, robe en maille), une jupe/ robe longue, mi-mollet ou genou, fendue ou pas. Robert Clergerie, JB Martin, Vero Moda, Isabel Marant… Les miennes sont du géant américain Stuart Weitzman. Et détail non négligeable, ça tient chaud.

Alors, à la question, quelles sont les représentations de la féminité que je prône moi ? Vous avez remarqué que je suis passée d’une longue amazone à un titi parisien ? Du elle au il. Une féminité sans frontières.


 
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