S’excuser d’être là.
Vous le connaissez bien celui-là hein ? Je suis sûre. Moi, ce syndrôme est mon frère ennemi.
Je passe ma vie à m’excuser d’avoir de jolies chaussures. Mais aussi une jolie robe. Et puis encore, de travailler dans la mode et surtout d’être heureuse dans mon quotidien et de réussir à gagner ma vie plutôt correctement. De manière générale, je m’excuse de connaître le nom de ce film dont tu ne te souviens pas, de connaître la réponse à cette question que tu poses, d’avoir une opinion sur cet avis, bref je m’excuse de déranger. Le plus souvent, je m’excuse d’avoir autant d’énergie dans la vie ou encore d’essayer de la rendre la meilleure possible : je suis terriblement confuse d’aimer la vie. Bien sûr, je m’excuse d’habiter un joli appartement. Et parfois, je m’excuse d’être là à ce déjeuner alors même que j’y ai été invitée… Je n’en vaux tellement pas la peine. Je suis tellement moins bien que vous.
On passe sa vie à s’excuser parce qu’on est persuadé que les autres sont meilleurs que nous. Naturellement plus intelligents, plus malins, plus matures, plus tout. Mais qui nous a donné cette drôle d’idée ? Quelle dangereuse insécurité s’est glissée en nous dans l’enfance pour que ce syndrome soit persistant au point d’en devenir paralysant?
Quand on s’excuse d’être là, d’être soi tout simplement, on se coupe l’accès aux autres.
Et surtout, je donne à penser aux gens que je me fous d’eux. Je me renferme. Je deviens tout à coup distante. Non parce que je prends l’autre de haut mais parce que c’est la honte qui me prend. Alors que je pourrais justement m’ouvrir, expliquer, partager mes désirs et mes passions, je deviens mutique. Je fuis le regard de l’autre. Je passe à un autre sujet. Et finalement je me passe sous silence. Je ne m’autorise pas à exister. Je ne mets pas la lumière sur moi alors que ma singularité n’a pas à être bonne ou mauvaise. Elle a le mérite d’exister, et puis voilà.
Est-ce que vous avez déjà remarqué qu’on passe sa vie à s’excuser avant tout de ses qualités ?
Les plus drôles ou les plus cyniques diront que justement ceux qui osent tout, ce sont les cons justement. Et que c’est à ça qu’on les reconnaît, les cons. Mais parfois, on leur envierait bien leur liberté. Leur lâcher-prise.
Je passe ma vie à m’excuser d’avoir des qualités alors que je devrais tout simplement ne pas essayer de justifier mon existence. Si on est arrivé jusque là, alors il n’y a plus qu’à. On mérite tous de vivre. Et puis, je dois reconnaître que je suis terriblement bien intentionnée: je passe ma vie à essayer de me bonifier et de m’améliorer. Ce côté chat sauvage, ces angoisses qui s’enroulent autour de mon corps jusqu’à parfois m’empêcher tous mouvements, la peur de l’échec, la perte de confiance et leur cohorte de soeurs maudites. Je les chasse à coup de balai.
On naît soi-même. Et on passe tout le reste de sa vie à essayer de se retrouver.
Est-ce que quelqu’un peut me dire à quel moment on a perdu le contact avec soi-même? La vie avec ses conventions, ses traumatismes, ses modèles nous forgent en même temps qu’elle nous éloigne de notre centre. Ce noyau profond qui est le vrai nous. Celui de nos vraies joies, de nos vrais désirs. Et les toucher du doigt à nouveau, c’est le cheminement de toute une vie.
La confiance en soi est une ressource qu’on n’acquiert qu’au prix de la vie.
Le nombre d’heures que j’ai passé à m’excuser d’exister est proportionnel aux nombres d’heures que j’ai passé à réaliser au compte goutte que ce syndrome m’empêchait d’exister.
Mais je me soigne. Et si j’arrive à formuler tout cela aujourd’hui, c’est que je passe peu à peu à l’étape d’après. Je sens chaque jour que j’arrête de m’excuser, que ce que dit mon « fond de moi », c’est moi. C’est ainsi que je suis. Je me sens plus libre, plus légère. J’arrive même à me foutre des imbéciles (ceux dont l’avis auparavant était parfois le plus important). J’écoute le « fond de moi » qui parle parce qu’il parle vrai. Il m’emmène vers les contrées de moi-même. Celles où je ne me compare plus aux autres mais où je peux entendre et toucher mes propres désirs. Ou la vie que je vis tous les jours n’a pas à être remise en question par des rêves qui ne sont pas les miens. Chacun son soleil, chacun ses étoiles.
Moi, j’aime papillonner, inventer et écrire des histoires, ne pas être dans la lumière mais y pousser les autres pour les observer et les filmer. J’aime être libre, sans attaches.
Je prends confiance en moi. Je me sens plus sereine, moins ensorcelée.
J’ai compris, je comprends un peu plus chaque jour, que je suis aussi bien (et aussi mauvaise) que les autres.
Pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce que je voudrais partager cette force avec vous. Je voudrais que tout le monde puisse arrêter de s’excuser d’exister. Je voudrais partager mon expérience avec vous.
Je voudrais pouvoir en parler avec vous parce que je me demande constamment… mais comment font les autres pour s’en sortir ?