Un midi, je déjeune tranquille en face de mes collocs de bureau dont Pierre ci-dessus, la bonne vingtaine, nouveau à l’atelier et architecte de son état. Je rêvasse un peu en essayant d’attraper mon ravioli chinois glissant avec mes baguettes. Nous mangeons autour d’une table basse, mon regard se pose sur ses pompes, je m’étrangle. Un bout de crevette de travers.
LE-KEUM-PORTE-DES-MÉPHISTO.
HAN.
Je suis choquée.
Les chaussures de vieux, quoi. NAN, MAIS NAWAK !!!
Je vous parle d’une pompe que les moins de 70 ans ne peuvent pas connaître : un genre de soulier orthopédico-sporti-fonctionnel avec une semelle épaisse, des surpiqûres, un laçage façon rando et et et une étiquette avec écrit en gros dessus Méphisto, comme pour le Port-Salut (googlez) . Voilà que Pierre porte çà.
J’ai regardé sur le site de Méphisto, ce modèle n’a même pas de NOM (comment ça se fait trop pas de pas baptiser un best-seller quoi)(j’ai trop le seum)(même chez Arche, la fameuse bottine moulée sur le pied a un nom). « C’est très confortable, il y a une sorte de cambrure » me confie Pierre en me montrant du doigt la semelle le pied en l’air (on s’entend bien au bureau). Mouais.
Passée la surprise (et presque la colère)(me faire ça en pleine crise de la quarantaine, quoi) évidemment le chagrin est apparu.
Je me suis mise a seriner le monde, les mains jointes et les genoux à terre : le jeune peut tout se permettre, punaise, le jeune est plein de vie, le jeune redonne vie à la vie et détourne des pompes de papy. Le jeune est comme une petite brebis qui s’ébaubie dans la prairie de l’innocence, sautillant les yeux grands ouverts sur les curiosités du monde, n’ayant pas d’à-prioris ou ayant envie de les braver d’un tour de pieds, capable de décrocher les étoiles. Il pense qu’on peut tout à fait reprendre deux fois des frites à la cantine, faire des photocopies couleurs à l’infini au bureau et obtenir plus de budget pour le pot de départ de Catherine. Fort de ça, il se sent assez solide pour porter des Méphisto en plein jour, dans la rue. Et même pas pour déconner. Même pas au second degré, punaise. Purement et simplement parce qu’il les AIME : « Je les trouve très belles », murmure-t-il.
Rhalala, la jeunesse.
Passé l’état de transe mélancolique, forcément, je me suis effondré, terrassée par un vrai chagrin. Profond. Métaphysique.
Ma vie est-elle finie ? Moi à 40 ans, ce n’est pas 10 ans que je prendrais à porter des Méphisto mais 30,40 et peut-être même 50 ans d’un coup. Peut-être même que les gens dans la rue croiraient que j’ai 90 ans. Ils penseraient en me voyant avec ces chaussures que je suis tout bonnement sur le point de mourir. De disparaître pour toujours dans le royaume des morts-dont-on-ne-parle-plus. Ils me regarderaient avec un air désolé-qui-sent-le-sapin. Bon, l’un dans l’autre, les gens me diraient sûrement que je fais jeune pour mon âge, et c’est toujours agréable à entendre. Quand même, faut avouer. Quand même. C’est pas dégueu (quand même).
Bref, je ne pourrai jamais porter des Méphisto moi.
Parce que t’aurais envie d’en porter, je vous entends me dire ?
MAIS VOUS ÊTES ALLÉ SUR LE SITE PUNAISE ?
Mais oui, 10 fois oui, bien sûr que je voudrais porter des Méphisto, me rouler dedans et m’en enduire le corps.
Mais quelle évidence.
Passé la surprise, la colère, le chagrin, vous connaissez la suite du processus : on se met à penser et à considérer les choses autrement. Attention, ce qui va suivre est une révélation interstellaire qui va faire trembler le monde de la chaussure : Méphisto est LA marque morte-vivante dont personne ne veut et qui demande juste à ressusciter pour cartonner. La mode adore les Phoenix. Mesdames et Messieurs, voici le candidat du futur. En adéquation totale avec l’air du temps dédié au désir de confort, ayant une image de qualité, ne dépensant pas des fortunes dans une communication frileuse et outrageante. Un candidat parfait.
Euh, on en parle Méphisto ? Mon 06 est le suivant. Je pense qu’on peut appuyer sur le champignon, le jeune est cuit à point pour venir s’offrir des milliers de ce modèle sans nom.
(Du coup, Arche, si vous voulez on se voit aussi)(du coup, je suis allée sur le site)(y’a du potentiel les gars)
Bref. Pierre, plein d’empathie, m’a accompagnée sur le site et là, je vous jure. J’ai la Méphisto qui m’est montée à la gorge.
La Lady (en fait, bien après, je me suis rendue compte que si, elle avait un nom, mais j’aimais bien ma blague donc j’ai laissé)(désolée c’est pas pro)(mais je m’en balec) Vert amande. Imaginez avec un jean léopard, des socquettes assorties et un sweat-shirt avec des inscriptions rock ?
Et rose. Imaginez avec un pantalon court en velours cotelé et un pull de la même couleur ?
Si vous êtes comme moi, en pleine crise de la trentaine, quarantaine, cinquantaine, soixantaine, soixante-dizième, quatre-vingtième, quatre-vingt-dizième, que vous voulez une paire de Méphisto wallah quoi, que vous avez le cerveau court-circuité. J’ai la solution.
S’acheter une Porsche pour rééquilibrer les choses.
180 euros la paire !