Ces claquettes, c’est le plus grand challenge que notre génération aura à affronter.
Un défi à tout ce qui a fait nos fondamentaux depuis toujours : la quête du goût, d’une silhouette bien rythmée, de la matière noble et de l’objet qui dure.
Ces mules sont comme une caisse de jouets retrouvée de notre enfance. Un paquet de photos surgi de notre vingtaine. Un carton de fringues oublié. Elles sont riches d’émotions familières et pourtant si foutoir. En vrac: les roubignolles du prof de la piscine mumu dans son slibard moulant et ses doigt de pieds tortillards, les chaussons en velours brodés de Mémé sur son tapis chinois, le plastique des tongs à 5 francs sur une plage Corse, la semelle moulée des mules orthopédiques de la corres’ allemande… Des émotions, des images, des souvenirs qui font une vie (violons).Et quand on accumule tout ça dans un objet symbolique, forcément, c’est monstruosiforme. Ça fait froncer les sourcils et faire le nez haut. Ça accouche d’un bidule sans goût, dans des matières moches, avec des couleurs ou des imprimés chelous mais un bidule qui nous crie « Viens j’t’emmèèène ». Un engin honteusement délicieux, qui nous tenterait juste le chouïa qu’il faut pour l’adopter.
Eh ben, puisque c’est à la mode d’afficher ses opinions, j’avoue, je me vois bien porter ses tatano-plastocs-de-maître-nageur-au-grand-coeur. Défier le goût des rombières, passer outre les lois de la chose pour me faire dorloter les coussinets sans complexe. Catapulter l’idée qu’on vit sa vie comme on la dessine. Qu’on a le droit d’aimer le fourbi de nos souvenirs, de porter des choses « limite », que les regards étriqués qui cherchent à nous mettre dans leur boîte à bon goût pour tous iront se faire peigner la tignasse à l’eau de javel. Que moi, je franchirais les trottoirs montmartrois sans courber l’échine par trop de féminité accumulée, que je serai mi-piscine mi-flamme, subtilement vulgaire, sans quémander le sexy sexiste, que je vous le claquerais le style, flip flop, un sound system pour révolutionner le pavé. Ou comment pendant 5 min, je serai la présidente de la confiance en soi. On fait bien des grands feus en frottant des cailloux. Pourquoi qu’on ferait pas des heureux en mettant ces bijoux ?