L’intemporalité, c’est quand on n’a plus rien à dire ?

Jeudi dernier, je suis allée voir « de près » la collection Louis Vuitton automne-hiver 2014, la première dessinée par Nicolas Ghesquière. La maison présentait les vêtements et les accessoires à la presse dans les anciens bâtiments de Boussac (propriétaire historique de Dior), rue du Louvre.

« Voir de près », un rituel important pour les journalistes. Le défilé est là pour sentir, la présentation est faite pour toucher. Surtout chez ce nouveau Vuitton, où le coeur battant du travail de Ghesquière réside dans l’entrelac sophistiqué de textures techniques et luxueuses. Son challenge ? Reprendre un prêt-à-porter sans ADN. Point de codes, point d’histoire, point de veste Bar signée Christian Dior ou de tradition du tweed comme chez Chanel. Idem pour les souliers.

Du coup, une grande question se pose : quel créneau choisir ? Vers quel horizon manoeuvrer la proue de ce puissant navire ? Il s’agit de l’emmener sur les rives du succès (la lourdeur de ma comparaison étant à l’image de la pression exercée sur le créateur) et de lui offrir des terres jusque là non conquises. Vision créative exigée.

Le credo de Nicolas ? L’intemporalité.

LOUIS-VUITTON5

Après le rock, le minimaliste, le casual ou encore le sexy, voici officiellement un nouveau créneau marketing : l’intemporel.

La collection de souliers est pragmatique puisqu’elle n’est composée que de bottines et de bottes. Ce modèle ci-dessus est mon préféré. J’aime son talon courbe qui lui offre une signature forte et contemporaine. Tout comme cette cheville ultra gainée et nouée d’une bride esprit équitation-tradi-chic. La couleur caramel rappelle les fondamentaux des seventies. C’est étrange, c’est familier et mordant et moderne à la fois. L’intemporel, c’est indicible ?

LOUIS-VUITTON2La bottine en alligator avec des élastiques, et un petit talon confortable. L’ultra luxe se confronte au pratique.

S’habiller « intemporel », rechercher les pièces parfaites, être adepte du « no fashion » (se tenir à distance des tendances), est une quête dans l’air du temps. Sans doute née du ras-le-bol d’un trop plein de fanfreluches, puisque les airs du temps se répondent entre eux. C’est chercher la paix en échappant à la masse de propositions, au marché qui n’en finit pas d’enfler. Après l’esprit streetstyle-overdressed de ces dernières saisons, on arrive à l’attitude ultime : se délester pour s’habiller intemporel (ou irons-nous après ?) (dans ces fameuses combinaisons blanches qu’on voit dans les films futuristes des années 60?). L’intemporel, c’est un réflexe de survie ?

LOUIS-VUITTON3Les mêmes bottines sont fabriquées avec la toile monogramme vernie.

C’est quoi s’habiller intemporel ? Est-ce ignorer les tendances ? Non, c’est mixer les valeurs sûres. Des lignes fortes mais connues, des couleurs subtiles mais absorbées, des matériaux traditionnels mais tissés de technicité moderne.  C’est un credo merveilleusement subtil qui peut décevoir (première impression ressentie à la vue de la collection Vuitton) mais qui est, selon moi, la seule réflexion à laquelle je promets un avenir. Je rêve d’un discours capable de canaliser le flot continu qui se déverse sur nous. L’intemporel, c’est trop intellectuel ? C’est se couper de notre désir ?

LOUIS-VUITTON4Les bottines en alligator au petit talon confortable se dotent d’une cheville en cuir stretch. Un porté hybride : armure du reptile, caresse du cuir gainant.

Un ami avec qui je discute de ces problématiques (parfois, on est sérieux) me pose cette question : « L’intemporalité, c’est quand on n’a plus rien à dire alors ? ». Je ne pense pas, même si, un peu oui. On a déjà dit beaucoup de choses (Sophia Webster et ses cuissardes-sandales-bottes de neige d’été en Russie en est un exemple). L’intemporel, c’est le désir de trouver une mode qui transcende toutes les autres. C’est une démarche métaphysique. L’intemporel, c’est le rêve un peu fou de condenser toutes les modes entres-elles pour trouver la mode parfaite. L’intemporel, c’est une quête divine ?

Les modèles photographiés sont tous issus de la collection Louis Vuitton automne-hiver 2014.

Edit du 25 mars : Petite précision, les chaussures ne sont pas créées par Pierre Hardy qui fût pourtant le compagnon de shoes de Nicolas chez Balenciaga. Affaire à suivre.

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10 commentaires

  1. Lili Barbery-Coulon - 24 mars 2014 - Répondre

    Les premières vernies avec la bride entrelacée à la cheville, elles sont dingues!!! C’est son complice pierre hardy qui a signé les souliers?

    1. Mathilde Toulot - 24 mars 2014 - Répondre

      @Lili Barbery-Coulon Tu as raison de poser la question, je vais me renseigner au plus vite… Au lieu de manger des centaines de ces espèces de petits gâteaux au chocolat et fruits rouges à la présentation, j’aurais dû faire mon job, bon sang.

  2. Gaëlle - 24 mars 2014 - Répondre

    Ahhhhh ça fait du bien, ça repose l’oeil de voir des chaussures belles, normales, et portables… J’aime beaucoup le premier modèle, très belle ligne. A voir les défilés, je me suis demandée ce qu’ils nous pondront à la prochaine fashion week, tellement c’est la surenchère du n’importe quoi, que ce soit du n’importe quoi baroque ou du n’importe quoi minimaliste ou du n’importe quoi en mules ! Désolée pour ce petit coup de gueule, fallait que ça sorte… ;-)

    1. Mathilde Toulot - 24 mars 2014 - Répondre

      @Gaëlle Tous les coups de gueule aimables sont les bienvenus ! ;)

  3. ana - 25 mars 2014 - Répondre

    Moi c’est plutot les dernieres qui me parlent. Woww…
    Je pense avoir lu que pierre hardy n’y etait pour rien, cette foi (sur tdm?)

  4. Bill - 26 mars 2014 - Répondre

    Grand commentaire. Cette anti-tendance est manifeste à chaque coin a ma ville. Là, elle se montrent dans l’intersection de punk et bobo, y compris du tatouage.

  5. Sophie Shoessure - 27 mars 2014 - Répondre

    Personnellement, je rejoins les fanatiques du premier modèle avec ce talon courbé qui frolle la perfection en prolongeant avec harmonie la cheville si bien mise en valeur. Waw waw!!

  6. Julie - 1 avril 2014 - Répondre

    Mais l’intemporalité n’est pas le crédo d’Hermes?

    1. Mathilde Toulot - 1 avril 2014 - Répondre

      @Julie oui aussi, l’intemporalité est un créneau qui se décline en somme.

  7. Mannabelle - 1 avril 2014 - Répondre

    Je kiffe ces modèles (à part le siglé) mais surtout je kiffe ta prose et tout le fond qu’elle renferme. Encore une fois merci Dr Shooes !

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